Vers la joie - Interview de Laurence Tardieu
Régulièrement, nous mettons la lumière sur une lecture coup de coeur. Propos recueillis par Iman en janvier 2025.
🎙️ L’interview du mois : Laurence Tardieu pour son roman Vers la joie.
À l’occasion de la sortie de Vers la joie le 9 janvier dernier, Laurence Tardieu nous a accordé une interview en nous livrant les dessous de son récit poignant. Ce roman retrace son expérience face à la maladie de son fils, Adam, atteint d'une leucémie. À travers ce texte, elle explore les bouleversements intimes et existentiels qu'elle a vécus, entre lutte, souffrance et réinvention du temps. Un cheminement vers la joie, dans lequel l'intime se mêle à l'universel.
Laurence Tardieu, née en 1972 à Marseille, est une romancière française reconnue pour ses œuvres introspectives et sensibles. Après des études à l'ESSEC et une formation au Conservatoire d'art dramatique de Paris, elle publie en 2002 son premier roman, Comme un père. Elle a depuis signé une dizaine de livres, dont Le Jugement de Léa (prix du roman des libraires Leclerc 2004) et Puisque rien ne dure (prix Alain-Fournier). Ses écrits explorent des thèmes tels que le temps, les liens familiaux et la perte.
1/ Dans votre roman D'une aube à l’autre vous racontez l’hospitalisation de votre fils Adam, Vers la joie est-il une manière d’aborder l’après ?
En effet. Vers la joie s’ouvre sur l’instant où je sors de l’hôpital, la main de mon fils serrée dans la mienne, après 158 jours d’hospitalisation en bulle stérile. Nous sommes, Adam et moi, comme au sortir de la caverne platonicienne : éblouis par la lumière. L’après-guerre commence, me dis- je alors, pensant que l’après-guerre, ce sera la paix, ce sera la douceur, ce sera la vie retrouvée. Je vais très vite comprendre que l’après-guerre sera tout autre. Ou plus exactement, non pas le comprendre, mais le ressentir. C’est l’écriture de Vers la joie qui me permettra de comprendre et de nommer cet après-guerre.
2/ L’écriture vous a-t-elle permis de vous reconnecter au réel et de comprendre comment atteindre la résilience et la joie ?
J’ai très vite compris, au sortir de l’hôpital, que j’avais vécu une expérience radicale qui m’avait propulsée hors du monde et hors du temps et que la vie ne reprendrait pas là où je l’avais laissée avant le temps de la maladie de mon fils. Tout avait changé : mon rapport aux autres, mon sentiment de présence au monde, mon rapport au temps, mon rapport au langage. Le passé d’avant la guerre avait été dérobé. Comme si une fracture avait divisé la vie en deux et que le pont reliant le présent au passé antérieur de la maladie était barré. J’avais le sentiment d’avoir été déplacée intérieurement. À l’hôpital n’existait que l’instant présent, que je m’efforçais d’habiter le plus intensément possible – ne sachant pas ce qui viendrait après. Le passé, l’avenir n’existaient plus. Chaque instant était détaché, coupé de celui qui le précédait et de celui qui le suivrait.
Au sortir de l’hôpital, j’ai compris que je ne savais plus m’inscrire dans le flux linéaire du temps. Je passais mon temps à revivre des moments, la vie était devenue une spirale, j’étais ici et dans la chambre stérile en même temps, tout comme j’étais ici et là-bas dans le même instant. Il m’a fallu écrire Vers la joie pour, mot après mot, grâce au travail de la langue, de la rythmique de la composition, comprendre quel était ce nouveau monde, ce nouveau temps où j’avais été déposée. L’écriture de Vers la joie m’a permis de cheminer vers un temps retrouvé, qui n’est plus le temps linéaire d’avant la maladie, mais ce temps qui est le temps de la joie, à l’intérieur duquel je peux cheminer, dans un même espace, aux côtés de ma mère morte il y a 25 ans, ou ressentir à nouveau la chaleur rayonnante de mon premier amour.
4/ La maternité, l'amour et la douleur se rejoignent dans votre récit. En quoi ces thèmes sont-ils devenus différemment vécus après avoir affronté la maladie de votre fils ?
La possibilité de la mort de mon fils, qui a duré des mois et des mois, (il est encore en rémission), la guerre et toute l’énergie que j’ai déployée dans cette guerre, ont changé à jamais ma vie, ma vision du temps, ma vision du monde. J’ai été cette louve qui s’est battue pendant des mois pour que le corps de son fils reste chaud et joyeux. Je suis allée aux confins d’un monde, celui de la vie, mais aussi, je le crois, celui de l’amour, celui de la maternité, celui de la douleur et celui de la joie.
Et ci-dessous, l'interview émotions de Laurence Tardieu !
1/ Si je vous dis émotions et littérature, à qui pensez-vous ?
Toutes les grandes lectures que j’ai faites m’ont procuré des émotions intenses. De Camus à Annie Ernaux, de Proust à Agota Kristof, de Faulkner à Daniel Mendelsohn, et je pourrais ici citer peut-être une centaine de noms. «L’art est fait pour toucher», disait Racine. La littérature est faite pour nous faire éprouver le vivant, nous élargir, nous empoigner, nous interroger, nous consoler… Comme Proust, je crois à la supériorité du monde de la sensation sur celui de l’intellect.
2/ L’émotion que vous préférez voir chez quelqu’un ?
Soudain tomber l’armure à terre, et se montrer vulnérable, donc vrai.
3/ Le livre qui vous suscite le plus de...
Peur : mazette ! je ne me rappelle pas avoir eu peur en lisant ! Je suis toujours comme enveloppée, protégée de tout en lisant.
Colère : aucun ! Je ne crois pas avoir jamais ressenti une quelconque colère en lisant un livre.
4/ Un des moments les plus émouvants de votre vie de lectrice ou d’auteure ?
Le jour où Jean-Marc Roberts, qui a été ensuite mon éditeur jusqu’à sa mort, m’a appelée pour me dire qu’il me publiait.
5/ Le personnage de roman qui vous a le plus marquée, et pourquoi ?
Le narrateur de La Recherche du Temps perdu, qui au terme d’une vie, et pour nous, de la lecture de toute la Recherche, devient écrivain.
6/ L’auteur ou autrice qui vous touche le plus ?
Tant de noms se bousculent ! Je citerais celui qui m’est venu en premier : Patrick Modiano.
7/ Où et quand préférez vous lire ?
Dans un endroit calme, idéalement le jardin de ma petite maison à Nice, sous l’ombre du plaqueminier, entendant les oiseaux et respirant les odeurs merveilleuses méditerranéennes.
8/ À qui offrez vous le plus de livre ?
À mon amoureux.
9/ Le livre qui a changé votre vie ?
La crucifixion en rose (Sexus, Plexus, Nexus),Henry Miller : c’est un texte qui m’a permis de trouver la force de quitter le travail que j’exerçais alors, pour écrire.
10/ Épilogue • Finissez la phrase suivante : « La littérature m’émeut quand...
… quand elle m’élargit. »