🎙️ Interview : La Petite Bonne, Bérénice Pichat
Découvrez le format complet et détaillé de l'interview. Propos recueillis par Iman en octobre 2024.
Communiquer sans rien dire. En regard de la parution de La Petite Bonne, l’autrice Bérénice Pichat nous a accordé un moment d’échange autour de son œuvre. Plongé dans un silence criant de solitude, le livre nous offre une clé de lecture singulière de la communication. Dans ce roman, le courage s’articule autour de personnages poignants qui développent des liens forts de manière inattendue. Entre découverte, introspection et émotions, Bérénice Pichat nous dévoile les dessous de son écriture polyphonique.
Comment vous est venue l’idée de ce récit ?
La création du personnage de La Petite Bonne s’est faite de manière intuitive. Je l’ai vu évoluer au fil de mon écriture et de mes phrases en vers libres. L’idée d’avoir un personnage courageux, sérieux et ambitieux, malgré son petit niveau de vie, m’a grandement inspirée. Quant au personnage de Blaise, je l’ai fait de mains, il était pianiste, empêché par la vie et par son corps de se réaliser, il était au point mort. Le contrepoids de Blaise a nourri la bonne et inversement, c’est par cette dialectique qu’ils se sont construits mutuellement. Alexandrine, au milieu, tentait de recoller les morceaux, mais n’y trouvait pas son compte.
Le courage se fait ressentir à travers les trois personnages du roman. Cette notion est-elle importante pour vous ?
Dans tout ce que j’écris, les personnages vont de l’avant. Malgré leurs difficultés, ils trouvent toujours un moyen de s’en sortir. Ils sont ordinaires et présentent des points forts et des points faibles. J’aime les percevoir comme des personnes réelles et cet aspect de courage fait toujours partie de leur personnalité. Pour la bonne, son courage est son moteur. Blaise, lui, l’a perdu, mais finit par le retrouver.
La construction de la narration en vers libres rend un jeu de polyphonie. Quel est l’enjeu de cette double narrativité ?
Cette voix, je l’ai volontairement voulue mystérieuse, elle suggère au lecteur une destinée tragique. Le choix de narration attise la curiosité du lecteur, qui ne comprend pas ce qu’il s’est passé jusqu’à la dernière ligne du livre. Malgré la narration à la troisième personne, on parvient à s’immiscer dans la pensée des personnages.
Est-ce donc un choix délibéré qu’il n’y ait pas de dialogues dans le roman mais seulement un discours intérieur ?
Je suis fascinée par les gens taiseux, d’ailleurs, dans mes précédents romans, les personnages ne se parlent pas mais pensent. Les personnages ont du mal à communiquer, chacun a sa propre pensée et son propre fonctionnement et a priori, ne sont pas censés échanger. Tout l’enjeu de ce livre est de parvenir à communiquer lorsque nous n’en n’avons pas les outils.
De ce fait, vous mettez en avant d’autres moyens de communication que celui de la parole.
La communication passe d’abord par le regard, on se sent exister quand on est regardé. Les personnages n’existent qu’à travers le regard des uns des autres, car ils n’en ont pas un sur eux-mêmes. Enfermés dans leur singularité, ils n’arrivent pas à extérioriser. Les lubies qui les maintiennent en vie sont artificielles. La petite bonne ne réalise pas que son travail est bien fait, Alexandrine n’a pas conscience d’être la béquille de son mari. Quant à Blaise, il prend conscience de ce vide lorsqu’il ne prend plus de morphine, la solitude le fait souffrir. Dès son arrivée, la petite bonne, par sa naïveté, ne conçoit pas qu’elle fait tout voler en éclats. Blaise la décrit comme une magicienne qui ne se rend pas compte qu’elle est magique et c’est le cœur de leur relation. Je voulais montrer comment deux tunnels côte à côte finissent par fusionner.
Comment le roman illustre-t-il les rapports de communication ?
Par sa grande empathie, la petite bonne présente cette volonté de comprendre Blaise. Ils essayent de se parler en vain, elle l’invite à table, il ne répond pas. L’intérêt réciproque qu’ils se portent annonce la communication et cela passe par l’observation. La bonne se demande comment Blaise fait pour manger à une main, lui analyse ses faits et gestes. La communication passe aussi par le contact physique, il y a cette scène très forte lorsqu’elle pose ses mains sur ses épaules. Après ce contact lourd de sens, la petite bonne n’appellera plus Blaise « le vieux ». Ainsi, leur perception de l’autre évolue, Blaise devient un homme qu’on regarde, elle, ne représente plus seulement la servante simplette. Peu à peu, le lien se crée alors qu’ils n’ont rien en commun, mais le partage se fait !
Parlons de vous en tant qu’autrice. Si je vous dis émotions et littérature, à qui pensez-vous ?
Je pense à Philippe Claudel. Je n’ai jamais lu de livres aussi émouvants que les siens. Le rapport de Brodeck est celui qui m’a suscité le plus d’émotions, je le relis tous les ans. Le Lambeau de Philippe Lançon m’a également émue, par son choix des mots quant au courage et à la douleur de vivre lorsque l’on est une gueule cassée.
L’auteur qui vous touche le plus ?
Philippe Claudel ! En autrice, la célèbre Annie Ernaux. Mais aussi Anne-Marie Garnat, autrice formidable qui a publié chez Actes Sud une trilogie familiale folle, remplie de secrets, sur trois générations.
L’émotion que vous préférez voir chez quelqu’un ?
La surprise ! J’aime surprendre les gens, et que les choses n’arrivent pas comme prévu. J’aime m’attendre à rien, comme ça je ne suis pas déçue.
Le livre qui vous a suscité le plus de joie ?
Je dirais plus une forme de jubilation intellectuelle et ça serait Les Liaisons dangereuses.
Le plus de surprise et d’amour ?
Pour la surprise, j’ai lu en une traite La famille de Suzanne. C’est une enquête inspirée de faits réels. Sinon, je ne suis pas trop adepte des comédies romantiques. Je lis des livres pas très joyeux. Récemment, j’ai lu Dans la forêt. J’apprécie également l’univers de Sylvain Tesson, des aventures incroyables très agréables à lire, avec plein de références.
Quel a été le moment le plus émouvant dans votre vie de lectrice et d’autrice ?
J’en vis tous les jours et heureusement ! La sortie de La Petite Bonne, les rencontres, passer à la télévision, tout l’avenir qui se profile pour ce livre, c’est super émouvant.
Le personnage de roman qui vous a le plus marquée ?
Brodeck ! (rires). Mais pour changer : Le chagrin des vivants, les trois femmes du livre m’ont marquée. J’aime quand le lecteur doit faire ce travail de construction.
Ce qui fait écho à la La Petite bonne ?
Oui, j’écris ce que j’ai envie de lire. J’apprécie quand le lecteur est actif, qu’il reconstitue les pièces du puzzle, il en sort grandi. Ce qui renvoie à l’aspect thérapeutique du livre, notamment par cette fierté que l’on ressent après une lecture complexe. Chaque lecture est une victoire personnelle.
Quel est l’endroit où vous préférez lire ?
Pendant les vacances en famille on fait beaucoup de route, j’adore lire en voiture.
À qui offrez-vous le plus de livres ?
À mes enfants.
L‘émotion qui prédomine dans La Petite Bonne ?
L’espoir.
Enfin, complétez la phrase : « La littérature m’émeut quand… »
Quand j’arrive à croire aux personnages ! Quand j’ai l’impression que je pourrais les rencontrer, que ce sont des personnes que je connais. Le plus beau compliment que l’on me fait régulièrement c’est d’avoir le ressenti de vivre un petit moment avec eux.